Historique
La Province de Churchill a été définie par Stockwell (1961) en tant que province tectonique du Bouclier canadien. Cette définition englobait, entre autres, la partie septentrionale de la péninsule d’Ungava, l’Orogène de l’Ungava et le sud-est de la Province de Churchill (SEPC), situé dans le NE du Québec et au Labrador, entre les provinces du Supérieur et de Nain. Hoffman (1988, 1990) propose que l’Orogène de l’Ungava corresponde à une extension de l’Orogène trans-hudsonien, alors que l’amalgame de roches archéennes localisées au centre du SEPC aurait une affinité avec la Province de Rae (Hoffman, 1988; 1990).
L’Orogène trans-hudsonien a subséquemment été reconnu comme une large zone continue affectée par une empreinte tectonométamorphique causée par des collisions ayant eu lieu entre 1,83 Ga et 1,80 Ga (Lewry et Collerson, 1990; Corrigan et al., 2009). Les orogènes du Nouveau-Québec et des Torngat y sont ainsi inclus. Le terme « Zone noyau » est introduit par James et al. (1996) pour définir une zone centrale entre ces orogènes; elle est composée d’un amalgame de roches archéennes remobilisées au Paléoprotérozoïque, dont certaines auraient une affinité avec les provinces du Supérieur ou de Rae. Par la suite, St-Onge et al. (1998) ont démontré qu’un segment E-W de l’Orogène trans-hudsonien se prolongeait jusque dans le sud de l’île de Baffin, annulant ainsi toute possibilité de connexion entre la Province de Rae et la Zone noyau. Le terme « sud-est de la Province de Churchill » (SEPC) semble d’abord avoir été utilisé par James et al. (1996). Il a été repris dans plusieurs publications subséquentes, dont la synthèse régionale de Wardle et al. (2002).
Différents termes ont été utilisés pour désigner le segment de l’Orogène trans-hudsonien situé à l’extrémité nord de la péninsule d’Ungava, soit Orogène de Cape Smith (Hoffman, 1988), Fosse de l’Ungava (Lamothe, 1994), puis Orogène de l’Ungava (St-Onge et al., 1992a; 1992b; Lamothe, 2007).
Description
La Province de Churchill ceinture le Craton du Supérieur. Elle est exposée dans le NE du Québec (SEPC) ainsi que sur l’extrémité septentrionale de la péninsule d’Ungava (Orogène de l’Ungava).
Le SEPC chevauche la frontière entre le Québec et le Labrador. Il mesure entre 415 et 615 km de longueur sur 250 à 380 km de largeur, selon une orientation générale NNW-SSE. Il est délimité à l’ouest par la Province du Supérieur, à l’est par les provinces de Nain (Craton nord-atlantique et Domaine lithotectonique de Burwell) et de Makkovik, et au sud par la Province de Grenville.
L’Orogène de l’Ungava se situe dans le nord de la péninsule d’Ungava. Il s’étend sur près de 300 km, de la baie d’Hudson à l’ouest jusqu’au détroit d’Hudson au nord et à l’est. Au sud, il est limité par la Province du Supérieur.
Géologie
La partie québécoise de la Province de Churchill fait partie de l’Orogène trans-hudsonien qui regroupe une zone affectée par une empreinte tectonométamorphique continue et causée par des collisions ayant eu lieu entre 1,83 Ga et 1,8 Ga (Lewry et Collerson, 1990; Corrigan et al., 2009). Ces zones de collision ceinturent le Craton du Supérieur et y soudent des cratons de moindres importances, tel le Craton nord-atlantique. Une géométrie asymétrique reconnue par Hoffman (1988) est commune aux différents segments de l’Orogène trans-hudsonien. Elle inclut des ceintures de plis et de chevauchements composées de roches supracrustales faiblement métamorphisées ainsi qu’un arrière-pays de croûte archéenne fortement remobilisée au Paléoprotérozoïque et des arcs magmatiques. Ce schéma général est retrouvé tant dans le SEPC que dans l’Orogène de l’Ungava.
Sud-est de la Province de Churchill
Le SEPC est formé de plusieurs blocs lithotectoniques d’origines différentes qui se sont amalgamés lors de l’Orogène trans-hudsonien. Dans le SEPC, cet événement se décline en deux orogènes transpressifs successifs, soit celui des Torngat, à l’est, et du Nouveau-Québec, à l’ouest (Wardle et al., 2002). La portion centrale, située entre ces orogènes et définie comme la Zone noyau par James et al. (1996), était auparavant subdivisée en domaines par différents auteurs, sans qu’aucune synthèse ne couvre systématiquement l’ensemble du SEPC. Suite aux levés géologiques réalisés par le Ministère entre 2009 et 2017, Lafrance et al. (2018) proposent une subdivision détaillée du SEPC en six domaines lithotectoniques, qui sont, de l’ouest vers l’est : la Fosse du Labrador, le Rachel-Laporte, le Baleine, le George, le Mistinibi-Raude et le Falcoz. Ces auteurs n’utilisent plus les orogènes comme subdivisions géologiques, puisque ceux-ci sont à cheval sur différents domaines lithotectoniques. À quelques différences près, Corrigan et al. (2018) suggèrent des subdivisions similaires (voir la fiche stratigraphique du Domaine lithotectonique de Baleine pour les différences).
La Fosse du Labrador est une ceinture volcano-sédimentaire métamorphisée (faciès des schistes verts à faciès des amphibolites) d’âge paléoprotérozoïque (2,17 Ga à 1,87 Ga), plissée et chevauchée sur le Craton du Supérieur lors de l’Orogenèse du Nouveau-Québec. Elle s’étend sur >850 km de longueur, de la Province de Grenville, au sud, jusqu’à la baie d’Ungava, au nord. Le contact avec la Province du Supérieur, à l’ouest, est principalement représenté par la Faille de Maraude. Le contact avec le Domaine lithotectonique de Rachel-Laporte, à l’est, est quant à lui marqué par différentes failles qui se relayent du nord au sud, soient les failles de Pointe Reef, du Lac Hérodier et du Lac Keato.
Le Domaine lithotectonique de Rachel-Laporte est composé de roches volcano-sédimentaires métamorphisées (faciès des amphibolites) d’âge paléoprotérozoïque de la Supersuite de Laporte (<1,84 Ga; Henrique-Pinto et al., 2017), auparavant interprétées comme des équivalents plus métamorphisés d’unités de la Fosse du Labrador (Fahrig, 1965; Poirier et al., 1990; Wardle et al., 2002; Simard et al., 2013). Les travaux de cartographie subséquents indiquent plutôt que les roches métasédimentaires de la Supersuite de Laporte se distinguent de celles de la Fosse du Labrador par une épaisseur apparente plus importante et une composition plus homogène. Les données de géochronologie détritique de Henrique-Pinto et al. (2017) portent à croire que ces deux bassins sédimentaires sont issus de sources et d’environnements tectoniques distincts. Les travaux de cet auteur indiquent que les zircons détritiques des unités du Supergroupe de Kaniapiskau (Fosse du Labrador) ont une signature typique de celles de la Province du Supérieur (maximum de fréquence à ~2,72 Ga). Dans le cas de la Supersuite de Laporte, le maximum de fréquence des zircons détritiques se situe plutôt autour de 1,84 Ga, suggérant que la source principale des sédiments provienne des unités du SEPC. Le Domaine de Rachel-Laporte comprend également des complexes structuraux archéens (blocs imbriqués n’appartenant pas à la Supersuite de Laporte), interprétés comme ayant appartenu à la Province du Supérieur (Wardle et al., 2002), ainsi que des écailles tectoniques exhumées lors du chevauchement du Domaine lithotectonique de Baleine sur ceux de Rachel-Laporte et de la Fosse du Labrador.
Le Domaine lithotectonique de Baleine comprend deux sections (nord et sud), dont la limite se trouve à ~30 km au sud de Kuujjuaq. La section nord se compose essentiellement de gneiss tonalitique archéen (Complexe d’Ungava; 2,9 Ga à 2,7 Ga), de migmatite (Complexe de Qurlutuq) et de granite d’anatexie (Suite d’Aveneau) dérivés de la fusion des gneiss. Elle comprend aussi un complexe intrusif mafique à intermédiaire (Complexe de Kaslac) et des séquences volcano-sédimentaires (suites de Curot et d’Akiasirviup) alternant avec des gneiss dans sa partie ouest. La section sud comprend une vaste couverture supracrustale fortement migmatitisée (suites de False et de Winnie), des unités potassiques archéennes déformées (Suite de Saffray; ~2,7 Ga), mais aussi des gneiss, des migmatites et des granites d’anatexie similaires à ceux observés dans la section nord. Une intrusion potassique métamorphisée (Suite de Champdoré), synchrone à la Supersuite de De Pas (voir Domaine de George ci-dessous), est aussi présente dans la partie sud du domaine. La portion sud du Domaine de Baleine est aussi caractérisée par un patron structural en dômes et bassins (Charette et al., 2016). Le Complexe structural de Diana (Madore et Larbi, 2000) représente l’extrémité NW détachée du Domaine de Baleine. Cette unité est essentiellement formée de tonalite gneissique avec des bandes de paragneiss, d’amphibolite et de roche ultramafique généralement mylonitisés et migmatitisés. À l’instar du reste du Domaine de Baleine, ces roches sont d’âge archéen et protérozoïque et ont été affectées par une déformation ductile intense et un métamorphisme au Paléoprotérozoïque.
Le Domaine lithotectonique de George est dominé par les intrusions paléoprotérozoïque de la Supersuite de De Pas (1,86 Ga à 1,8 Ga), lesquelles se sont mises en place au sein d’unités de gneiss et leurs produits de fusion partielle (complexes de Saint-Sauveur et de Guesnier; 2,7 Ga à 2,6 Ga) et à travers une séquence volcano-sédimentaire métamorphisée néoarchéenne de grande envergure (Complexe de Tunulic; 2,7 Ga à 2,6 Ga). Limité par des zones de cisaillement majeures à l’ouest (du Lac Tudor) et à l’est (de la Rivière George), ce domaine est caractérisé par d’importantes zones de déformation mylonitique. Charette et al. (2018) considèrent que le Domaine de George marque une zone de transition entre les empreintes tectonométamorphiques des orogènes du Nouveau-Québec et des Torngat. Ainsi, ce domaine représenterait un passage discontinu ou graduel entre leurs styles orogéniques contrastés.
Le Domaine lithotectonique de Mistinibi-Raude se démarque par la quasi-absence de lithologies archéennes, les unités les plus vieilles se situant à la limite entre le Néoarchéen et le Paléoprotérozoïque (2,5 Ga à 2,3 Ga), ainsi que par l’absence de magmatisme à ~1,8 Ga. Il comprend une vaste séquence de paragneiss et de diatexite (Complexe de Mistinibi), des unités de roches métavolcaniques (complexes de Ntshuku et de Zeni), des gneiss (complexes d’Advance et d’Elson) et une séquence métasédimentaire clastique (Groupe de la Hutte Sauvage). Le Domaine de Mistinibi-Raude est aussi caractérisé par la présence de nombreuses intrusions, majoritairement potassiques, dont la composition varie de felsique à mafique. Certaines de ces intrusions ont cristallisé au Paléoprotérozoïque et au Néoarchéen (suites de Pelland, de Nekuashu et de Dumans). Toutefois, la majorité de ces intrusions sont d’âge mésoprotérozoïque et se sont mises en place à la limite entre le SEPC et la Province de Nain (Batholite de Mistastin, suites de Michikamau et de Napeu Kainut). Charette et al. (2019) incluent aussi dans celui-ci le Domaine d’Orma qui représente un secteur situé au sud de la Zone de cisaillement de Zeni, considérant que ces deux secteurs sont caractérisés par l’absence d’âge de cristallisation >2,67 Ga, mais surtout par l’absence d’une empreinte métamorphique associée à l’Orogène trans-hudsonien.
Le Domaine lithotectonique de Falcoz représente la marge orientale du SEPC divisée en deux parties (ouest et est) et séparée par la Zone de cisaillement de Blumath, qui marque le passage du faciès métamorphique des amphibolites supérieur à celui des granulites. La partie ouest est dominée par des gneiss variablement migmatitisés (complexes de Kangiqsualujjuaq et de Fougeraye) et des intrusions potassiques (Suite de Siimitalik), majoritairement d’âge mésoarchéen (3,0 Ga à 2,7 Ga). Elle comprend aussi une séquence de roches volcano-sédimentaires métamorphisées d’âge paléoprotérozoïque (Suite de Lake Harbour) coupée par des dykes et des filons-couches mafiques à ultramafiques (Suite de Nuvulialuk). La partie est du Domaine de Falcoz est dominée par des orthogneiss granulitiques archéens (Complexe de Sukaliuk; 2,9 Ga à 2,7 Ga) et des roches intrusives à hypersthène paléoprotérozoïques (Suite d’Inuluttalik; ~1,8 Ga). Plus à l’est encore, ce domaine comprend aussi des roches intrusives interprétées comme étant la racine d’un arc magmatique mis en place à la marge est du SEPC à ~1877 Ma (Bertrand et al., 1993). Ces roches sont regroupées à l’intérieur du Complexe de Lomier, qui comprend des roches supracrustales (Suite de Koroc River), des intrusions charnockitiques (Suite intrusive de Courdon) et des gneiss interprétés comme étant dérivés de la déformation et de l’alternance du Koroc River et du Courdon.
L’ensemble des domaines lithotectoniques du SEPC sont coupés par des dykes mafiques subophitiques d’âge mésoprotérozoïque (~1,3 Ga) qui ont été regroupés en essaims dont la direction varie, les principaux étant l’Essaim de Falcoz (NNW-SSE), les Dykes de Slippery (E-W) et les Dykes de Harp (NE-SW).
Orogène de l’Ungava
L’Orogène de l’Ungava est divisé en quatre domaines lithotectoniques, qui sont, du nord au sud : le Narsajuaq, le Kovik, le Nord et le Sud. Les domaines de Narsajuaq et de Kovik forment le cœur de l’Orogène de l’Ungava. Ils sont composés de roches archéennes remobilisées et d’intrusions paléoprotérozoïques. Les domaines Sud et Nord forment une ceinture volcano-sédimentaire déposée sur le Craton du Supérieur.
Le Domaine lithotectonique de Narsajuaq représente la portion la plus intensément métamorphisée et déformée de l’Orogène de l’Ungava. Il est principalement composé de roches intrusives foliées à gneissiques, intermédiaires à felsiques, dont les complexes de Tasialuk Allipaaq et de Sainte-Hélène (~2790 Ma) et les suites de Sanningajualuk et de Nallujuaq (~2560 Ma). Le Domaine de Narsajuaq est caractérisé par la présence d’unités stratigraphiques à orthopyroxène couvrant de grandes superficies et témoignant du métamorphisme au faciès des granulites. Les principales sont les complexes de Pingasualuit (~2770 Ma à 2610 Ma) et d’Estre ainsi que les suites de Navvaataaq (~2550 Ma), de Fargues et de Siurartuuq. Ces unités s’alternent les unes aux autres sur des épaisseurs hectométriques à kilométriques, formant un rubanement d’orientation E-W caractéristique du Narsajuaq. Les roches métasédimentaires du Complexe d’Erik Cove sont également intercalées au sein des unités ignées et gneissiques.
Le Domaine lithotectonique de Kovik est formé d’un ensemble dominé par des roches intrusives foliées à gneissiques d’âge archéen à paléoprotérozoïque et de bandes de roches métasédimentaires et métavolcaniques. Les roches intrusives sont essentiellement tonalitiques à granitiques et couramment migmatitisées. Les roches du Domaine de Kovik sont principalement regroupées au sein du Complexe de Kovik., mais elles seront progressivement subdivisées en des unités distinctes au fur et à mesure de la progression de la cartographie. Contrairement au Domaine de Narsajuaq, l’orthopyroxène est peu présent au sein du Domaine de Kovik, suggérant que le métamorphisme n’y a généralement pas atteint le faciès des granulites Les principales nouvelles unités déjà identifiées comprennent les gneiss du Complexe de Nanuk, la granodiorite de la Suite d’Arviq, les paragneiss migmatitisés de la Suite de Crony et les roches intrusives mafiques à intermédiaires de la Suite de Gastrin.
Le Domaine Nord est un ensemble lithotectonique complexe qui chevauche le Domaine Sud et le Domaine de Kovik, et qui est lui-même chevauché par le Domaine de Narsajuaq. Il est composé majoritairement de trois groupes (Watts, Spartan et Parent) et de la Suite de Cape Smith. La relation entre les groupes n’est pas clairement définie. Le Groupe de Watts est principalement constitué d’un complexe igné lité mafique à ultramafique associé à une expression extrusive; par conséquent, certains auteurs l’interprètent comme une ophiolite (St-Onge et al., 1988) datée à ~2 Ga. Le Groupe de Spartan est composé de roches sédimentaires alors que le Groupe de Parent est une unité volcanique d’arc. La Suite de Cape Smith comprend un cortège d’intrusions dont la mise en place s’échelonne de 1890 Ma à 1836 Ma.
Le Domaine Sud, aussi connu comme la Ceinture de Cape Smith, est l’ensemble lithotectonique le plus méridional. Il repose en discordance sur la Province du Supérieur et se compose d’ensembles lithologiques traduisant l’ouverture d’un rift continental à ~2038 Ma (Hegner et Bevier, 1991), puis la transition à un rift océanique actif entre 1883 Ma et 1870 Ma (Bleeker et Kamo, 2018). Le Groupe de Povungnituk est un ensemble volcanosédimentaire associé au développement d’un rift continental. Le Groupe de Chukotat est composé de basalte de type MORB issu d’une ouverture océanique.
Évolution géologique
L’édification de l’Orogène trans-hudsonien est le principal événement géologique ayant façonné la Province de Churchill. Cet orogène figure parmi les plus étendus de l’ère paléoprotérozoïque. Différents modèles tectoniques et contextes géodynamiques ont été proposés depuis les travaux préliminaires engagés durant la deuxième moitié du 20e siècle (Stockwell, 1961).
Dès 1973, Dewey et Burke ont appliqué un modèle contemporain basé sur la tectonique des plaques à la Province de Churchill et proposé que celle-ci représenterait un analogue au Plateau tibétain qui compose l’arrière-pays de l’Orogène Himalaya-Tibet. Suivant la même analogie, ces auteurs vont plus loin et interprètent de l’extrusion latérale vers le SE à la manière de l’Indochine actuelle.
Sur la base d’études métamorphiques quantitatives, Godet et al. (2021) ont proposé que l’histoire accrétionnaire et collisionnelle du SEPC s’étend sur une période d’environ 100 millions d’années, entre ~1900 Ma et 1800 Ma. Ces auteurs reconnaissent une évolution diachrone d’est en ouest avec : 1) l‘initiation de la collision continentale dans l’Orogène des Torngat estimée de 1895 à 1885 Ma, suivie d’un épisode de relaxation thermique, puis d’un refroidissement de haute température marqué par la cristallisation de liquide anatectique jusqu’à ~1815 Ma (Charette et al., 2021); 2) la collision des blocs lithotectoniques avec le Domaine de Baleine à ~1835 Ma, suivie là aussi d’une période de refroidissement de haute température jusqu’à ~1815 Ma (Godet et al., 2020a) et synchrone à la mise en place de la Supersuite de De Pas (1860-1805 Ma); et 3) la collision finale dans l’Orogène du Nouveau-Québec (ONQ) estimée à ~1800 Ma (Machado et al., 1989; Godet et al., 2020a). Les localisations des zones de suture entre les différents blocs lithotectoniques du SEPC varient d’un auteur à l’autre et dépendent du paramètre géologique considéré. Par exemple, la zone de suture dans l’ONQ est interprétée soit à l’est du Domaine de Baleine pour expliquer l’affinité d’arc du Batholithe de De Pas (p. ex. Wardle et al., 2002), soit entre la Fosse du Labrador et le Domaine lithotectonique de Rachel-Laporte pour expliquer l’environnement de dépôt avant-arc des roches sédimentaires de la Supersuite de Laporte (Henrique-Pinto et al., 2017). Des travaux futurs adoptant une approche plus holistique seront nécessaires pour localiser et caractériser la nature des zones de suture tout au long de l’histoire accrétionnaire du SEPC.
L’architecture structurale du SEPC influence aussi les limites de domaine. En effet, plusieurs zones de cisaillement majeures sont présentes en bordure des domaines lithotectoniques. C’est le cas pour la Zone de cisaillement de la Rivière George qui délimite le domaine du même nom des domaines de Falcoz et de Mistinibi-Raude. Ces zones de cisaillement sont principalement associées à du mouvement décrochant, soit dextre ou senestre. Ces structures caractéristiques du SEPC ont mené Wardle et al. (2002) à proposer un modèle d’accrétion oblique, transpressive et successive entre les cratons archéens de Nain et du Supérieur. D’abord senestre dans l’Orogène des Torngat (1845-1820 Ma), puis dextre dans l’Orogène du Nouveau-Québec et le centre du SEPC, soit approximativement les domaines lithotectoniques de George et de Baleine (1820-1770 Ma). Une hypothèse alternative au modèle de collisions successives consiste en une phase de convergence somme toute coaxiale et accommodée par un réseau de zones de cisaillement par lesquelles des blocs, dont le Domaine de Mistinibi-Raude, subissent une extrusion latérale vers le SE (Vanier, 2019), de manière analogue à l’Indochine (proposé par Corrigan et al., 2021), mais à l’échelle du SEPC plutôt qu’à celle du de l’Orogène trans-hudsonien et sans la présence d’un indenteur. Enfin, la croûte moyenne rhéologiquement faible du centre du SEPC aurait favorisé le phénomène d’extrusion latérale (Vanier, 2019).
En somme, l’évolution tectonique du SEPC est débattue et la compréhension du ou des régimes tectoniques pourrait bénéficier d’approches intégrées combinant entre autres des données géochronologiques, métamorphiques, plutoniques, sédimentaires et géophysiques. Sur la base d’arguments métamorphiques et structuraux, Godet (2020) propose que le SEPC résulte d’un régime tectonique paléoprotérozoïque transitoire ayant enregistré des caractéristiques propres au régime moderne de la tectonique des plaques (p. ex. localisation de la déformation, épaississement crustal, superposition de domaines lithotectoniques aux conditions métamorphiques diachrones et contrastées) et au(x) régime(s) archéens (p. ex. découplage lithosphérique, déformation distribuée), faisant du SEPC une région d’intérêt pour approfondir notre compréhension des processus orogéniques au Paléoprotérozoïque.
Dans l’Orogène de l’Ungava, l’initiation de la collision continentale correspond à l’amalgamation du Bloc de Sugluk (Domaine lithotectonique de Narsajuaq) et du microcontinent Méta-Incognita, situé sur l’île de Baffin, à ~1865 Ma (Corrigan et al., 2009).
Les données pétrochronologiques sont encore trop fragmentaires dans l’Orogène de l’Ungava pour permettre une comparaison avec le SEPC. Toutefois, la formation d’éclogites dans le Domaine de Kovik entre 1831 et 1820 Ma (Weller et St-Onge, 2017) suggère que la phase continentale de la collision a été légèrement tardive par rapport à ce qui est rapporté dans le centre du SEPC.
Références
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Citation suggérée
Ministère des Ressources naturelles et des Forêts (MRNF). Province de Churchill. Lexique stratigraphique du Québec. https://gq.mines.gouv.qc.ca/lexique-stratigraphique/province-de-churchill [cité le jour mois année].
Collaborateurs
Première publication |
Isabelle Lafrance, géo., M. Sc. isabelle.lafrance@mrnf.gouv.qc.ca; Guillaume Mathieu, ing., M. Sc.; Marc-Antoine Vanier, ing. jr., M. Sc. (rédaction) Mehdi A. Guemache, géo., Ph. D. (coordination); Patrice Roy, géo., M. Sc. (lecture critique); Simon Auclair, géo., M. Sc. (révision linguistique); Céline Dupuis, géo., Ph. D. (version anglaise); Nathalie Bouchard (montage HTML). |
Révisions |
Isabelle Lafrance, géo., M. Sc. isabelle.lafrance@mrnf.gouv.qc.ca; Antoine Godet, Ph. D. (rédaction) Céline Dupuis, géo., Ph. D. (coordination); Marc-Antoine Vanier, ing., M. Sc. (lecture critique); Simon Auclair, géo., M. Sc. (révision linguistique). |
Isabelle Lafrance, géo., M. Sc. isabelle.lafrance@mrnf.gouv.qc.ca; Marc-Antoine Vanier, ing. jr., M. Sc. (rédaction) (23/10/2020) Mehdi A. Guemache, géo., Ph. D. (coordination); Simon Auclair, géo., M. Sc. (révision linguistique); Céline Dupuis, géo., Ph. D. (version anglaise). |
30 novembre 2015