Historique
Le Domaine lithotectonique de Baleine a été défini par Lafrance et al. (2020) dans le cadre d’une synthèse régionale du Sud-est de la Province de Churchill (SEPC; Lafrance et al., 2018). Ce domaine inclut désormais le « Domaine de Kuujjuaq » tel que défini par Wardle et al. (2002) et Corrigan et al. (2018). Ces auteurs proposent que la Zone de cisaillement du Lac Tudor (ZCtud) se prolonge vers le NW pour rejoindre la Faille du Lac Turcotte (FAtur), impliquant que la portion nord du Domaine de Baleine serait plutôt associée au Domaine lithotectonique de George ou à la « Zone noyau ». Toutefois, ce prolongement n’a pas été observé sur le terrain, ce qui a conduit Lafrance et al. (2020) à remettre en question l’existence de la ZCtud dans ce secteur et, par le fait même, la localisation de la limite nord du « Domaine de Kuujjuaq » de Wardle et al. (2002) et Corrigan et al. (2018). Lafrance et al. (2020) mentionnent que si une telle limite existe, elle serait plutôt représentée par la Zone de cisaillement de Koksoak, bien que rien ne permette d’affirmer que les terrains situés de part et d’autre de cette structure ont subi une évolution tectonique distincte à l’Archéen. Ils regroupent ainsi ce vaste territoire au sein d’un même domaine, le Domaine lithotectonique de Baleine, considérant que ce dernier a été affecté dans son ensemble par l’Orogène du Nouveau-Québec au Paléoprotérozoïque.
Antérieurement à ces travaux, le terme de « Terrane de Kuujjuaq » a aussi été utilisé pour désigner la partie nord du Domaine de Baleine qui était alors interprété comme représentant l’extension nord du domaine renfermant la Supersuite de De Pas (Perreault et Hynes, 1990). Ce terrane était alors divisé en deux domaines séparés par la Faille de Pingiajjulik, le Domaine de Gabriel, à l’ouest, et le Domaine de Berthet, à l’est (Perreault et Hynes, 1990; Poirier et al., 1990; Wardle et al., 1990). Suite à leurs travaux le long de la rive ouest de la baie d’Ungava, Bardoux et al. (1998) ont recommandé d’abandonner ce terme puisqu’aucune discontinuité majeure n’avait été observée dans ce secteur. Ils ont plutôt proposé d’utiliser l’appellation de « Kuujjuaq Tectonic Zone » pour représenter l’ensemble du secteur situé entre la FAtur et la Zone de cisaillement de la Rivière George. Simard et al. (2013) et Lafrance et al. (2014) ont aussi subdivisé le secteur NW du Baleine en différents domaines, soit ceux de Gabriel, de Baie aux Feuilles et de Buteux. Ces domaines n’ont pas été prolongés vers le sud. Selon Lafrance et al. (2020), ceux-ci pourraient être considérés comme des sous-domaines à même le Domaine de Baleine, mais des travaux plus détaillés seraient nécessaires pour mieux les définir.
Dans le sud du SEPC, le Domaine de Baleine correspond en partie au « Domaine de McKenzie River » défini au Labrador par James et al. (1996). Ce terme a été utilisé par plusieurs auteurs (Kerr et al., 1994; James et Dunning, 2000; Hammouche et al., 2011) pour représenter un terrane d’orthogneiss archéen. Van der Leeden (1990) a aussi utilisé le terme de « Domaine de la Zone de cisaillement du Lac Tudor ». Également dans le secteur sud, les unités de roches métasédimentaires de la Suite de Grand-Rosoy, anciennement assignées au Domaine lithotectonique de Rachel-Laporte (Girard, 1995; Hammouche et al., 2011), ont été rattachées au Domaine de Baleine par Lafrance et al. (2020). Les résultats géochronologiques indiquent que le matériel détritique de cette unité provient uniquement de l’érosion de roches archéennes, justifiant ainsi cette nouvelle appartenance.
Description
Le Domaine lithotectonique de Baleine, situé dans la partie centre-ouest du sud-est de la Province de Churchill (SEPC), mesure 615 km de longueur sur 15 à 100 km de largeur, pour une superficie totale de 36 365 km2. Il est orienté globalement NNW-SSE, sauf dans le secteur sud où son orientation est plutôt N-S. Il est bordé à l’est par le Domaine lithotectonique de George, avec lequel il est en contact de faille dans la partie sud du SEPC (ZCtud). Dans le secteur nord, le contact est défini de façon plus arbitraire et localement masqué par la présence de grandes zones de roches intrusives tarditectoniques de la Suite granitique de De Pas. Du côté ouest, le Domaine de Baleine est en contact avec le Domaine de Rachel-Laporte par l’entremise de grandes failles en relais, lesquelles sont représentées, du nord au sud, par les failles du Lac Olmstead et du Lac Turcotte. À son extrémité sud, le Domaine de Baleine est en contact avec la Fosse du Labrador par le biais de la Faille de Gill Lake.
Géologie
Les roches du Domaine de Baleine ont été regroupées en différentes unités lithodémiques, principalement des suites et des complexes, en respectant les normes du Code stratigraphique nord-américain (NACSN, 2005; MER, 1986; Easton, 2009) et en tenant compte de la nomenclature déjà établie. Ces unités ont été définies en fonction des données géologiques et géochronologiques disponibles. Elles sont présentées chronologiquement dans la légende de la carte géologique de Lafrance et al. (2020) et dans le tableau ci-dessous. Seules les lithologies des unités principales sont mentionnées. Les références aux âges cités dans cette fiche se trouvent dans Lafrance et al. (2020) ainsi que dans les fiches stratigraphiques respectives des différentes unités géologiques.
Le Domaine lithotectonique de Baleine peut être divisé géographiquement en quatre sections en fonction des caractéristiques lithologiques et des styles structuraux propres à chacune d’elles.
La section centrale est caractérisée par la présence d’une vaste couverture de roches métasédimentaires néoarchéennes associées à la Suite de False (<2678 Ma), et qui ont été affectées par un évènement de fusion partielle majeur au Paléoprotérozoïque. Cet évènement a engendré la production d’un volume important de diatexite et de métatexite (Suite de Winnie) dont l’âge de mise en place est estimé entre 1838 Ma et 1807 Ma. Les suites de False et de Winnie couvrent près de 25 % du Domaine de Baleine. La section centrale du Domaine de Baleine comprend aussi les roches intrusives potassiques néoarchéennes de la Suite de Saffray (2696 à 2683 Ma) associées à de fortes anomalies aéromagnétiques positives d’orientation générale E-W.
Même s’il couvre des superficies plus importantes dans le nord, le socle gneissique du Domaine de Baleine (Complexe d’Ungava) a été observé dans l’ensemble du domaine et représente plus de 20 % de sa superficie totale. Ces gneiss sont migmatitisés à divers degrés, les secteurs les plus affectés par la fusion partielle étant assignés au Complexe de Qurlutuq. La Suite d’Aveneau (1818 à 1811 Ma) représente une autre unité de superficie importante (~12 %) observée dans la totalité du Domaine de Baleine. Elle se compose de tonalite et de granite blancs à schlierens interprétés comme le produit final de la fusion partielle régionale au Paléoprotérozoïque (Simard et al., 2013).
Les sections nord et sud du Domaine de Baleine se distinguent de la portion centrale par la présence de quelques unités particulières, les principales étant le Complexe de Kaslac (1835 à 1827 Ma) dans la partie nord, et le Complexe de Knox (2823 à 2619 Ma) et les suites de Champdoré (1859 à 1837 Ma), de Lhande (1834 Ma) et de Grand Rosoy (<2618 Ma) dans la partie sud. La Suite de Grand Rosoy, qui représente une séquence de méta-arkose et de méta-arénite, est interstratifiée avec les unités de paragneiss et d’amphibolite des suites d’Akiasirviup et de Curot. Ces suites se concentrent en bordure ouest du domaine et affleurent principalement dans les sections nord et sud, alors qu’elles forment uniquement une mince bande dans la section centrale.
La dernière section est associée au Complexe structural de Diana, une unité indépendante qui représente l’extrémité NW détachée du Domaine de Baleine. Ce complexe comprend un ensemble de tonalite gneissique et de bandes de paragneiss, d’amphibolite et de roche ultramafique d’âge archéen et protérozoïque qui a été affecté par une déformation intense et un métamorphisme au Paléoprotérozoïque. Les différentes unités incluses dans le Complexe structural de Diana pourraient possiblement être corrélées avec les autres unités énumérées dans le tableau ci-dessous. Toutefois, les subdivisions utilisées par Madore et Larbi (2000) sont différentes de celles présentées par Lafrance et al. (2020); des vérifications sur le terrain seraient nécessaires pour réaliser cet exercice de corrélation.
MÉSOPROTÉROZOÏQUE | ||
mPhar | Dykes de Harp | Gabbro à olivine ophitique et massif |
mPfal | Essaim de Falcoz | Gabbro à olivine et gabbronorite à olivine, subophitiques et massifs |
mPsoi | Suite de Soisson | Troctolite, gabbro à olivine, gabbro et gabbronorite subophitiques |
PALÉOPROTÉROZOÏQUE | ||
pPdac | Suite de Dancelou | Granite massif et granite pegmatitique |
pPpot | Gabbro de Potel | Gabbro et gabbronorite massifs |
pPavn | Suite d’Aveneau | Tonalite et granite blancs massifs à foliés |
pPkaa | Complexe de Kaslac | Roches intrusives mafiques à felsiques déformées et métamorphisées |
pPgin | Enderbite de Gamelin | Enderbite massive |
pPlnd | Suite de Lhande | Roches intrusives intermédiaires à mafiques |
pPtak | Suite de Tasialuk | Granodiorite et tonalite à structure porphyroïde |
pPchu | Pluton de Chaumaux | Anorthosite massive et granoblastique |
pPchm | Suite de Champdoré | Roches intrusives felsiques à intermédiaires potassiques, variablement recristallisées |
pPkuu | Pluton de Kuujjuaq | Tonalite et granodiorite foliées à gneissiques |
pPwii | Suite de Winnie | Diatexite et métatexite dérivées de la fusion de paragneiss |
Supersuite de De Pas | ||
pPcde | Suite charnockitique de De Pas | Opdalite, jotunite et mangérite variablement porphyroïdes |
pPdep | Suite granitique de De Pas | Granodiorite et monzodiorite quartzifère variablement porphyroïdes |
ARCHÉEN ET PALÉOPROTÉROZOÏQUE | ||
nApPcut | Suite de Curot | Amphibolite |
ApPqur | Complexe de Qurlutuq | Roches migmatitiques rubanées |
ApPral | Suite de Ralleau | Roches intrusives mafiques et ultramafiques amphibolitisées |
APdia | Complexe structural de Diana | Tonalite gneissique, paragneiss, amphibolite et roches intrusives potassiques |
ARCHÉEN | ||
nAfas | Suite de False | Paragneiss migmatitisé |
nAgy | Suite de Grand Rosoy | Méta-arkose et méta-arénite à hématite et spécularite |
nAaki | Suite d’Akiasirviup | Paragneiss et paraschiste à biotite et muscovite |
nAsaf | Suite de Saffray | Monzonite quartzifère foliée et granoblastique |
nAgrf | Complexe de Griffis | Tonalite, gneiss tonalitique, paragneiss et roches intrusives mafiques |
Agkx | Complexe de Knox | Gneiss felsique à intermédiaire avec ou sans hypersthène |
Aung | Complexe d’Ungava | Gneiss tonalitique à granitique |
Évolution géologique
L’histoire géologique du Domaine de Baleine débute à l’Archéen avec la mise en place de la plupart des unités stratigraphiques constituantes. Les unités les plus anciennes sont les complexes gneissiques et migmatitiques d’Ungava, de Knox et de Qurlutuq, avec des âges de mise en place compris entre 2843 et 2619 Ma, ainsi que la Suite de Saffray (2696 à 2683 Ma). Ces unités sont interprétées comme représentant le socle sur lequel se sont déposés les roches métasédimentaires des suites d’Akiasirviup, de False et de Grand Rosoy (Lafrance et al., 2020). L’étalement important des âges des complexes gneissiques suggère qu’il pourrait y avoir plusieurs unités différentes au sein de ceux-ci (Lafrance et al., 2020). Bien que les datations des gneiss soient inégalement réparties à l’échelle du Domaine de Baleine, les données disponibles semblent indiquer que le socle gneissique serait plus ancien dans la partie nord du domaine (Lafrance et al., 2020).
Le schéma stratigraphique présenté par Lafrance et al. (2020) illustre les relations initiales entre les unités archéennes à paléoprotérozoïques et les roches intrusives paléoprotérozoïques à mésoprotérozoïques. Certains aspects de l’évolution du Domaine de Baleine à l’Archéen demeurent nébuleux. Ainsi, on admet généralement que ce domaine était rattaché au Craton du Supérieur (Perreault et Hynes, 1990; James et Dunning, 2000; Wardle et al., 2002; Lafrance et al., 2014; Rayner et al., 2017; Corrigan et al., 2018; Lafrance et al., 2020) avant l’épisode de rifting du continent archéen le long de sa marge NE à ~2,2 Ga (Clark et Wares, 2004). Le Domaine de Baleine représenterait donc, avec le Domaine de Rachel-Laporte, l’un des deux constituants du SEPC à contenir des roches qui appartenaient antérieurement au Supérieur. Cette hypothèse se base sur les données géochronologiques et les compositions comparables de certaines unités observées dans le SEPC et dans la Province du Supérieur, ainsi que sur le prolongement possible de grandes anomalies magnétiques E-W de part et d’autre de la Fosse du Labrador (Lafrance et al., 2020). De plus, les résultats géochronologiques indiquent que des unités archéennes ont subi un certain degré de fusion partielle à l’Archéen à ~2809 Ma (Augland et al., 2016). L’empreinte de cet évènement tectonométamorphique a toutefois largement été oblitérée lors de la mise en place de l’Orogène du Nouveau-Québec au Paléoprotérozoïque (Moorhead, 1989; Poirier, 1989; Goulet, 1995). Ceci qui est confirmé par les nombreux âges métamorphiques obtenus dans le Complexe d’Ungava entre 1864 Ma et 1786 Ma.
Durant l’édification de l’Orogène du Nouveau-Québec, les conditions métamorphiques du faciès supérieur des amphibolites ou des granulites ont été atteintes à l’échelle du domaine (Poirier, 1989; Perreault et Hynes; 1990; Simard et al., 2013; Lafrance et al., 2014 et 2020; Charette et al., 2016; Godet et al., 2020), indiquant un enfouissement dans des conditions de croûte moyenne responsable de la formation des migmatites et des masses plutoniques. Une part importante du matériel produit provient de la fusion partielle des roches métasédimentaires et constitue les migmatites de la Suite de Winnie. Les gneiss du Complexe d’Ungava ont également subi un processus d’anatexie à l’origine d’une partie de la Suite d’Aveneau (Simard et al., 2014). Néanmoins, l’origine du magma composant l’essentiel de cette suite demeure ambiguë.
Les travaux de modélisation métamorphique et de pétrochronologie réalisés dans la partie centrale du Domaine de Baleine ont permis à Godet et al. (2020) d’interpréter trois phases d’évolution tectonique associées à l’Orogène du Nouveau-Québec que voici : 1) lors de la collision avec le Domaine de George, le Domaine de Baleine a d’abord été enfoui et a subi un métamorphisme atteignant le faciès des granulites; 2) le chevauchement du Domaine de Baleine sur le Domaine de Rachel-Laporte, le long de la Faille du Lac Turcotte, a entraîné la décompression isothermale dans le Domaine de Baleine ainsi que l’enfouissement des roches du Domaine de Rachel-Laporte et leur métamorphisme au faciès des amphibolites; 3) la juxtaposition de ces deux domaines qui ont progressivement été exposés à leur niveau actuel par érosion. Ce modèle implique que la Faille du Lac Turcotte représente une discontinuité métamorphique importante qui se révèle par le diachronisme métamorphique entre les domaines de Baleine et de Rachel-Laporte, plutôt que par un gradient observé sur le terrain qui révèlerait une augmentation graduelle de l’intensité du métamorphisme.
Références
Publications accessibles dans SIGÉOM Examine
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Autres publications
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Citation suggérée
Ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles (MERN). Domaine lithotectonique de Baleine. Lexique stratigraphique du Québec. https://gq.mines.gouv.qc.ca/lexique-stratigraphique/province-de-churchill/domaine-lithotectonique-de-baleine [cité le jour mois année].
Collaborateurs
Première publication |
Isabelle Lafrance, géo., M. Sc. isabelle.lafrance@mern.gouv.qc.ca (rédaction) Mehdi A. Guemache, géo., Ph. D. (coordination); Claude Dion, ing., M. Sc. (lecture critique); Simon Auclair, géo., M. Sc. (révision linguistique); André Tremblay (montage HTML); Céline Dupuis, géo., Ph. D. (version anglaise). |