Géologie des dépôts de surface de la région de Val-d’Or–Senneterre, Abitibi-Témiscamingue, Québec, Canada

Projet visant les feuillets 32C03, 32C04, 32C05
Hugo Dubé-Loubert
BQ 2022-02
Publié le  

 

 

 

À la UNE
L’Essentiel

La ceinture de roches vertes archéenne de l’Abitibi est l’une des plus importantes et des plus riches au monde. Elle contient plusieurs gisements de classe mondiale et a notamment produit plus de 200 Moz d’or (Dubé et Mercier-Langevin, 2019). Cette richesse, de même que sa grande diversité minérale, fait de l’Abitibi un secteur clef du monde minier québécois.

Le territoire abitibien est situé à la jonction de centres de dispersion de la calotte laurentienne et a donc été profondément marqué par les cycles glaciaires du Pléistocène (Dyke, 2004; Brouard et al., 2020 et 2023). Les dépôts sédimentaires quaternaires peuvent atteindre par endroits plusieurs dizaines de mètres d’épaisseur et masquent de grandes superficies du soubassement rocheux, ce qui entrave grandement l’exploration et la découverte de nouveaux gisements. De plus, la complexité de la séquence d’écoulements glaciaires et, conséquemment, des schémas de dispersion complique l’analyse et l’interprétation des données géochimiques de l’environnement secondaire.

Plusieurs compagnies d’exploration se tournent néanmoins vers les outils de glacioprospection afin de percer cette couche de dépôts de surface. Le caractère encore fragmentaire des connaissances sur l’architecture des dépôts de surface, la stratigraphie, la dynamique glaciaire et la chronologie des événements ayant marqué le secteur s’avère toutefois un obstacle à la valorisation de ce genre de levé.

La récente diffusion d’un levé LIDAR couvrant l’ensemble de la région abitibienne ouvre de nouvelles perspectives dans le domaine et a permis de réaliser de nouvelles cartes des dépôts de surface dans le secteur de Val-d’Or. Ces dépôts sont en grande partie constitués de sédiments fins associés à l’évolution du lac Ojibway-Barlow et de dépôts organiques. Des îlots de till et de till mince percent la plaine argileuse par endroits. Ces dépôts glaciaires sont orientés par endroits et forment des traînées morainiques derrière abris, des drumlins ou des drumlinoides

Le terrain est traversé selon un axe nord-sud par la Moraine d’Harricana, un important complexe morainique interlobaire interprété comme la limite entre des masses de glace résiduelle (Hardy, 1976; Veillette, 1986). De plus, plusieurs eskers d’orientations et dimensions variables sillonnent la zone d’étude. Finalement, des complexes dunaires se superposent aux séquences sableuses fluvioglaciaires ou littorales et montrent une prédominance des paléovents en provenance de l’ouest. 

 

Cadre physiographique et localisation du projet

La région à l’étude est parcourue par un réseau routier bien développé qui est constitué principalement des routes 117, 111 et 397. De plus, le secteur est sillonné par d’innombrables chemins forestiers généralement praticables en camionnette ou en quad. 

La région est comprise dans les bassins versants des baies James et d’Hudson et comprend d’importants plans d’eau et rivières, dont la rivière Harricana et les lacs Lemoine, Blouin, de Montigny, Guéguen et Tiblemont (figure 1). Les voies navigables ont favorisé l’accès au territoire et ont permis des visites de terrain en d’embarcation. Les feuillets SNRC cartographiés sont le 32C03, 32C04 et 32C05. 

La topographie du secteur est relativement plane avec un point culminant à ~473 m à l’ouest de Barraute. De façon générale, la topographie décrit un plan légèrement incliné vers le NW dont la limite sud est marquée par la ligne de partage des eaux entre les bassins versants du fleuve Saint-Laurent et ceux de la baie James et de la baie d’Hudson. 

 

Méthode de travail

Le levé à échelle 1/50 000 a été exécuté en suivant la méthode établie pour les levés du Quaternaire effectués dans les milieux isolés avec accès routiers. Cependant, considérant le niveau de connaissance et la maturité du camp minier compris dans les limites du projet, très peu d’échantillons de sédiment ont été prélevés dans le cadre des travaux de terrain. Le levé a été réalisé par une équipe composée d’un géologue et d’un étudiant entre le 1er juin et le 15 août 2022. Les principaux accès routiers ont été parcourus, de même qu’une grande partie des chemins forestiers en camionnette ou en quad. De plus, la rive des principaux plans d’eau a été visitée afin de relever les marques d’érosion glaciaire.

À la suite de ces observations, la cartographie finale des dépôts et des morphologies de surface a été complétée à l’aide du levé LIDAR et des images satellitaires de haute résolution. 

 

Données et analyses
Élément Nombre
Site d’observation du Quaternaire 177
Site de marque d’érosion glaciaire 120

 

 

Travaux antérieurs

Le tableau ci-dessous présente une liste des travaux portant sur la géologie du Quaternaire, essentiellement de nature cartographique, réalisés dans le secteur à l’étude. Il inclut aussi les références citées dans le rapport. Une liste plus exhaustive peut être trouvée dans la base de données documentaire EXAMINE.

Travaux antérieurs dans la région d’étude
Auteur(s) Type de travaux Contribution

Tremblay, 1974;, Veillette, 1987 2007a et 2007b,
Paradis, 2005 et 2007
Thibaudeau et Veillette, 2005; Veillette et al., 2010; Brouard et al., 2020; Brouard et al., 2023

 

Cartographie des sédiments de surface Cartographie des dépôts de surface réalisée par photo-interprétation et validation sur le terrain; reconstruction de la dynamique glaciaire
Veillette et McClenaghan, 1996 Inventaire des marques d’érosion glaciaire Reconstruction de la séquence des écoulements glaciaires de l’Abitibi-Témiscamingue et implications pour l’exploration minérale
Pilote et al., 2000; Pilote et Lacoste, 2017a; Pilote et Lacoste, 2017b; Pilote et al., 2017; Pilote et al., 2019 Cartographie du socle rocheux Cartographie et caractérisation de la ceinture de roches vertes archéenne de l’Abitibi
Brazeau et al., 1987 Inventaire des dépôts granulaires Cartographie et évaluation de la qualité des dépôts granulaires
Buteau, 1989 Inventaire des dépôts organiques Cartographie et caractérisation des milieux et dépôts organiques
Lasalle et Warren, 1968 Cartographie des morphologies de surface Cartographie et caractérisation des eskers de l’Abitibi

Zones morphosédimentaires

Cette section présente les principales caractéristiques sédimentologiques et morphologiques des dépôts de surface de la région. L’épaisseur des dépôts est très variable et peut atteindre >80 m par endroits (Rongier et al., 2014). La stratigraphie régionale est caractérisée par plusieurs unités glaciaires et fluvioglaciaires, mais également par la rare présence en profondeur de dépôts anciens préservés de l’érosion glaciaire. L’essentiel des dépôts de surface cartographiés est associé au dernier cycle glaciaire et est constitué de dépôts glaciaires minces sur les hauts topographiques, d’importants corridors fluvioglaciaires, mais surtout par une ceinture argileuse de grande étendue associée à l’évolution du lac Ojibway-Barlow.

 

Substrat rocheux

Le secteur à l’étude est situé dans la Sous-province géologique de l’Abitibi, une séquence archéenne de roches volcaniques et volcanoclastiques ultramafiques à felsiques qui alternent avec des bandes de roches sédimentaires épiclastiques (Pilote et al., 2000; Pilote et Lacoste, 2017a et 2017b; Pilote et al., 2017 et 2019). De plus, cet ensemble est recoupé par de nombreux plutons et dykes de composition grossièrement dioritique à tonalitique. Le roc (R dans la légende de la carte; ~2,5 % de la superficie) est très peu présent dans la région étant donné la prépondérance des argiles glaciolacustres qui masquent une bonne partie de celui-ci. 

 

Sédiments glaciaires

Le till de surface (Tm et Tc), communément appelé « Till de Matheson » dans la littérature (Veillette, 1994a), est de composition relativement homogène dans l’ensemble de la région. Il est formé de clastes millimétriques à décimétriques, anguleux à subanguleux, qui flottent généralement dans une matrice grisâtre composée de silt, de sable et d’un peu d’argile (figure 2A). La surface du till de fond est localement surmontée par du till remanié (Tr) caractérisé par une matrice légèrement plus grossière et des blocs délestés et jointifs à la surface (figure 2B). 

 

Dans les secteurs où le roc est affleurant ou subaffleurant, les dépôts glaciaires forment une couche mince de moins d’un mètre d’épaisseur (Tm; ~8 %) ponctuée d’affleurements (figure 2C). Lorsque l’épaisseur du dépôt dépasse le mètre, l’unité est identifiée comme till en couverture généralement continue (Tc; ~10 %).

 

Dans la zone à l’étude, le till perce la plaine argileuse à de rares endroits, généralement à proximité des hauts topographiques où il est cartographié comme till fuselé (Ts; ~ 9 % de la superficie). Il se présente alors en îlots allongés parallèlement à l’écoulement glaciaire et forme des traînées morainiques fuselées, des traînées morainiques derrière abris, des drumlinoïdes ou des drumlins (figure 3A).

En bordure des corridors fluvioglaciaires ou à proximité des limites littorales du lac Ojibway, le till a généralement été remanié respectivement par les eaux de fonte (Td; ˂1 %) ou l’action des vagues (Tr; ˂1 %) (figure 3B). Ces faciès remaniés se présentent généralement comme un diamicton sableux et lâche avec des blocs jointifs.

 

 

Sédiments fluvioglaciaires

La zone à l’étude est caractérisée par des constructions fluvioglaciaires majeures qui renseignent sur les étapes importantes de la déglaciation régionale. 

Sédiments juxtaglaciaires

Les sédiments juxtaglaciaires sont des sédiments transportés par les eaux de fonte et dont la mise en place s’est faite à proximité de la marge glaciaire (Gx; ~2,3 %). Dans la région, ces dépôts se présentent essentiellement sous la forme de complexes d’eskers de grandes dimensions, mais également d’une construction morainique d’importance : la Moraine d’Harricana (Gxi; ~1,4 %). 

Complexes d’eskers

Les eskers du secteur de Val-d’Or peuvent être divisés en deux groupes en fonction de leur position par rapport à la Moraine d’Harricana et de leur orientation. En effet, les eskers localisés à l’est de la moraine sont généralement orientés SSW, mais ceux situés à proximité s’infléchissent légèrement vers cette dernière, alors que les plus éloignés sont subparallèles à la moraine (figure 4). Ces eskers présentent des dimensions importantes avec des longueurs kilométriques, des hauteurs de plus d’une dizaine de mètres par rapport à la plaine argileuse et des largeurs pouvant atteindre plusieurs centaines de mètres. Cette dernière caractéristique constitue cependant une estimation étant donné que les flancs de la plupart de ces constructions ont été remaniés par l’action des vagues du Lac Ojibway-Barlow, ce qui a contribué à leur étalement.

Les eskers localisés à l’ouest de la Moraine d’Harricana forment un groupe moins important et sont régionalement orientés SSE. Leur tracé s’infléchit également à l’approche de la moraine. Leurs dimensions sont comparables à celles du groupe plus à l’est. Les flancs de ces constructions sont également marqués par du remaniement glaciolacustre et par la présence de plages soulevées. 

 

Moraine d’Harricana

La Moraine d’Harricana est une immense construction fluvioglaciaire qui s’étend sur plusieurs centaines de kilomètres depuis le nord de la région de l’Outaouais, en passant par l’Abitibi et jusqu’au sud de la baie James. Elle formerait, de par sa continuité spatiale, un seul et unique système fluvioglaciaire avec la Moraine de McConnel (Veillette, 1983). En raison de l’orientation des marques d’érosion glaciaire et des morphologies de surface de part et d’autre de cette structure, Hardy (1976) lui a attribué une origine interlobaire. En effet, la Moraine d’Harricana marquerait la scission entre deux masses de glace résiduelle : le glacier d’Hudson qui se retirait vers le NW et le glacier du Nouveau-Québec qui retraitait vers le NE. 

 

Dans la zone à l’étude, la Moraine d’Harricana surplombe la plaine argileuse et montre des dimensions très importantes pouvant atteindre quelques centaines de mètres à un kilomètre de largeur et jusqu’à plusieurs dizaines de mètres de hauteur au-dessus des argiles glaciolacustres (figure 5A). Elle est formée de matériau granulaire bien trié (sable, gravier, blocs arrondis) (figure 5B) avec des niveaux diamictiques (figure 5C et figure 5D) et montre des structures de déformation glaciotectoniques (failles normales et inverses, structures de basculement, etc.) par endroits (figure 5D, figure 5E et figure 5F). 

La moraine a été submergée par les eaux du lac Ojibway et sa surface remodelée et aplanie par l’action des vagues. 

 

Sédiments glaciolacustres

À la suite du retrait de la marge glaciaire vers le nord, au-delà de la limite topographique marquant actuellement la séparation entre les bassins versants du Saint-Laurent et de la baie James, les eaux de fonte se sont accumulées pour former un important plan d’eau glaciolacustre : le lac Ojibway. En effet, la marge glaciaire bloquait le drainage normal des eaux vers la baie James, permettant ainsi l’accumulation de l’eau au sud du glacier. De plus, la formation de ce bassin glaciolacustre a été favorisée par la dépression isostatique formée au front de la marge glaciaire. Selon une reconstruction basée sur la chronologie varvaire, ce plan d’eau aurait existé pendant ~2100 ans avant son drainage vers la baie James (Veillette, 1994b). 

Les dépôts de surface de la région à l’étude sont largement dominés par la présence de sédiments d’origine glaciolacustre. Ceux-ci sont divisés en deux principaux faciès en fonction de l’environnement de déposition : les sédiments glaciolacustres fins d’eau profonde et les sédiments glaciolacustres littoraux et prélittoraux. Aucun sédiment glaciolacustre deltaïque ou prodeltaïque n’a été identifié. 

 

Sédiments glaciolacustres fins d’eau profonde

BQ 2022-02 – Abitibi Phase 1

Les sédiments glaciolacustres fins d’eau profonde sont composés de silt et d’argile généralement laminés (figure 6 A et figure B) formant par endroits des rythmites ou des varves (LGa, ~36 %). Ces sédiments se sont mis en place dans les parties plus profondes du paléobassin Ojibway, sous une tranche que l’on considère généralement de plus de 50 m d’épaisseur (Veillette, 1983). Dans la région à l’étude, ce faciès est le plus important du point de vue de la superficie avec les dépôts de nature organique, ces deux types de sédiments étant spatialement liés. 

 

 

La plaine de sédiments fins est caractérisée par une absence presque totale de morphologie de surface, mis à part quelques secteurs où des moraines de De Geer ont été cartographiées, ce qui suggère évidemment un retrait de la marge au contact des eaux glaciolacustres (figure 7). 

 

Sédiments glaciolacustres littoraux et prélittoraux

Les sédiments glaciolacustres littoraux et prélittoraux (LGb; ~10 %) sont composés de sable et gravier ou de matériaux remaniés des unités sous-jacentes (figure 8A et figure 8B). Ces sédiments sont caractéristiques des secteurs riverains ou côtiers du paléobassin et/ou des zones sous influence de la dynamique littorale. Les sédiments littoraux ou prélittoraux se présentent également sous la forme d’une mince couche sableuse déposée dans les bas topographiques en contact avec les argiles Ojibway. Cette couche est reconnue sur une proportion importante du territoire, mais son épaisseur, couramment inférieure à 1 m, n’est pas toujours cartographiable.

 

 

Ces zones sont généralement marquées par la présence de plages soulevées ou de gradins d’érosion glaciolacustres comme sur les flancs de la Moraine d’Harricana (figure 9A). Elles sont aussi associées par endroits à d’importantes flèches littorales (figure 9B). En raison du grand nombre de plages soulevées, il est difficile d’identifier les principales phases atteintes par le lac Ojibway dans le secteur. La plupart des eskers importants sont bordés presque en continu par des plages. Malgré cela, le niveau 330 m est relativement bien marqué dans le secteur avec des gradins d’érosion et des terrasses bien développées. 

 

 

Sédiments postglaciaires

Au fur et à mesure du retrait des masses de glace, du relèvement isostatique et du drainage des eaux du lac Ojibway, les sédiments des secteurs nouvellement exondés ont été remobilisés par des processus éoliens ou fluviatiles, alors que les zones mal drainées ont vu le développement d’accumulations organosédimentaires.

 

Sédiments éoliens

Les sédiments éoliens se sont surtout développés dans les sables et les silts d’origine fluvioglaciaire ou littorale. Ils sont caractérisés par des stratifications diffuses, obliques ou subhorizontales (figure 10A et figure 10B). Les principales accumulations dans le secteur à l’étude se trouvent aux pourtours de la Moraine d’Harricana et des autres unités fluvioglaciaires d’importance (Ed; ~1,6 %). À part ces zones, le remaniement éolien est tout de même présent pratiquement partout et prend la forme de placages ou de minces couches sableuses impossibles à cartographier en raison de leur faible épaisseur. Dans les zones de petites dimensions ou faiblement remobilisées, les sédiments éoliens sont reconnaissables par leur morphologie de surface particulière (dune) et ont conservé la composition des unités sous-jacentes. Certaines de ces dunes semblent avoir préservé les caractéristiques morphologiques héritées d’autres variétés de formes éoliennes (transverse, longitudinale, etc.), mais elles ont subi un remodelage final de type parabolique.

Dans la majorité des cas, les dunes de grande dimension résultent de l’amalgame de plus petites formes jointes entre elles par des ailes. Ces formes sont de tailles très variables, avec une largeur entre les pointes allant de 50 à 60 m à plus du kilomètre avec une hauteur de 1 ou 2 m jusqu’à une dizaine pour les plus grandes. Leur morphologie et l’orientation de leur axe long globalement ENE suggèrent une mise en place par des paléovents provenant du WNW. La remobilisation éolienne s’exprime de façon spectaculaire par la formation de grands champs de dunes paraboliques. Les champs les plus importants se trouvent sur le flanc oriental de la Moraine d’Harricana et au sud du lac Legendre, à proximité du Batholithe de La Corne (figure 11). 

 

Sédiments alluviaux récents et de terrasse

Le rétablissement du système fluviatile et l’évolution des cours d’eau depuis la fin de l’Holocène ont permis le transport et le dépôt de sédiments alluvionnaires récents (Ap; ~1 %). De plus, la migration et l’incision des rivières au cours du temps ont entraîné l’abaissement et la construction de terrasses fluviatiles (At; ~1 %). Dans le secteur cartographié, celles-ci se sont généralement construites dans des sédiments argileux. Quelques rares zones montrant des dépôts alluvionnaires en dehors des corridors fluviaux actuels ont été cartographiées comme alluvions anciennes (Ax; ˂1 %). 

 

Sédiments organiques

L’importante plaine argileuse a contribué à la formation de milieux humides de grande ampleur. Ceux-ci prennent différentes formes telles que marais, marécages ou tourbières. Dans le contexte du projet, les milieux humides n’ont pas été subdivisés en fonction de leurs caractéristiques et ont été regroupés sous l’étiquette sédiment organique indifférencié (O; ~16 %).  

 

Histoire glaciaire

La région abitibienne est localisée au carrefour de secteurs importants de la calotte laurentidienne active lors des derniers cycles glaciaires. Son histoire est riche et complexe. Cette complexité se traduit par l’importance de la stratigraphie du Pléistocène en Abitibi, où certains secteurs ont préservé un empilement stratigraphique remontant au-delà du Sangamonien et peut-être même à l’Illinoien. En effet, cette séquence stratigraphique est caractérisée par la présence de plusieurs unités de sédiments glaciaires intercalées avec des unités interstadiaires, interglaciaires ou fluvioglaciaires (Veillette, 2007a). La déglaciation du secteur a également été ponctuée par la formation et l’évolution d’un imposant lac de barrage glaciaire, le lac Ojibway-Barlow, à l’origine du dépôt d’une importante couche argileuse qui a contribué à adoucir les reliefs rocheux et à les masquer.  

La séquence des écoulements glaciaires décrite dans la littérature est composée de plusieurs mouvements dont l’importance et la chronologie relative sont encore mal définies. L’événement majeur qui a exercé une influence fondamentale sur la dynamique glaciaire tardive et la configuration des masses de glace résiduelle est associé à la mise en place de la Moraine d’Harricana. 

Dans le cadre de ce rapport, seul l’historique découlant de l’interprétation des dépôts et des morphologies de surface sera abordé, ce qui, chronologiquement, correspond à la période comprise entre le Wisconsinien et l’Holocène. 

 

Dynamique glaciaire

La rareté des marques d’érosion glaciaire, leur piètre qualité générale et la mauvaise répartition des données dans la zone à l’étude ne permettent pas d’assurer un bon contrôle sur la chronologie relative des séquences des écoulements. Néanmoins, la mesure et la description de marques d’érosion et de modelés glaciaires associés ont pu être réalisées pour plus d’une centaine de sites lors des travaux de terrain. 

 

Séquence d’écoulements glaciaires

Feuillet 32C03

Sur trois sites localisés dans la partie ouest du feuillet 32C03, les marques d’érosion répertoriées semblent indiquer un écoulement ancien vers le sud (180° à 181°) suivi par une réorientation des glaces dans une direction SW (188° à 192°). À l’un de ces sites, un troisième mouvement de composante encore plus importante vers l’ouest (208°) recoupe le tout. 

Dans la partie est de ce même feuillet (site 22-HD-172), deux sites montrent une succession inverse de mouvements, c’est-à-dire une réorientation de l’écoulement du SW (220° et 200°) vers le SE (168°). Cela peut suggérer que l’extrémité orientale du territoire cartographié n’était pas influencée par l’appel de glace associé à la mise en place de la Moraine d’Harricana. Ce phénomène pourrait aussi être lié à l’influence topographique tardive et locale durant la déglaciation plutôt qu’à un réel changement de configuration de la glace. Les mouvements récents dans ce secteur sont à forte dominance vers le SSW (mode = 191°), sauf quelques rares exceptions orientées vers le SE (166° à 172° pour trois sites). Les écoulements interprétés à partir des morphologies de surface observées dans ce secteur sont cohérents avec des écoulements vers le SW (mode = 194°) (figure 12). 

 

Feuillet 32C04

Dans le feuillet 32C04, quelques rares mouvements (4) de sens inconnu peuvent être associés aux écoulements anciens vers le NW et E-W déjà reconnus dans la littérature (Veillette et al, 1999). À part ces rares exemples, plus on se dirige vers l’ouest du feuillet et plus l’influence de la Moraine d’Harricana se fait sentir dans l’évolution des écoulements glaciaires. Préalablement à la mise en place de celle-ci, l’écoulement en provenance du glacier du Nouveau-Québec, de direction généralement SW (194° à 210°), semble avoir dominé.  

Par la suite, selon que l’on se trouve à l’est ou l’ouest de la moraine, les mouvements anciens et les recoupements récents associés à cette unité indiquent globalement une convergence graduelle des écoulements. À l’ouest de la moraine, les mouvements sont orientés vers le SE (160° à 172°) et sont nourris par les glaces d’Hudson, alors qu’à l’est, les écoulements SSW (200° à 220°) proviennent des glaces du Nouveau-Québec. Cette dualité, bien illustrée sur le diagramme en rose de la figure 12, s’explique par la mise en place d’un appel de glace vers la moraine au fur et à mesure de la scission entre les glaces d’Hudson et du Nouveau-Québec. 

La majeure partie des formes fuselées cartographiées sont confinées à la partie est du feuillet 32C03. Elles ont sont orientées généralement vers le SSW (mode = 194°). Aucune forme orientée n’a été reconnue à l’ouest de la Moraine d’Harricana, bien qu’elles existent peut-être enfouies sous la plaine argileuse.

 

Feuillet 32C05

Les marques d’érosion répertoriées dans le feuillet 32C05 présentent une tendance comparable à celle observée dans le feuillet 32C03, c’est-à-dire une influence marquée de la Moraine d’Harricana sur les écoulements glaciaires au cours de la déglaciation. Très peu de sites ont été visités à l’est de la moraine, ce qui limite les interprétations. Outre un ancien mouvement E-W de sens inconnu (262°-82°), la plupart des écoulements anciens sont orientés vers le SSW (~200°). Selon la position géographique des sites visités par rapport à la moraine, les mouvements plus récents ont une composante vers le SSE à l’ouest de la moraine, et SSW à l’est. Cette tendance est illustrée sur le diagramme en rose de la figure 12.

Une particularité de ce secteur est la présence d’obstacles topographiques dans le secteur de La Corne qui ont canalisé les mouvements plus récents. Ces mouvements semblent donc plus contrôlés par la topographie environnante que par la mise en place de la Moraine d’Harricana. 

 

Déglaciation et chronologie de la région

Vers 11 ka BP (Dyke, 2004), le lac Agassiz occupe une importante superficie dans les provinces de l’ouest actuelles. Cette période voit également le début de l’accumulation des eaux du lac Barlow au Témiscamingue. Avec le retrait subséquent de la marge vers le NE, les eaux du lac Barlow ont pénétré le territoire abitibien, formant ainsi le lac Ojbway-Barlow. Il n’existe que très peu d’évidences permettant d’établir la chronologie des différentes phases du lac Ojibway. Des travaux récents (Godbout et al., 2017) ont permis de dater des lignes de rivage associées à la phase précoce du lac (Anglier) à l’aide des isotopes cosmogéniques (10Be). Les résultats obtenus donnent un âge moyen de ~9,9 ±0,7 ka pour cette phase. Pour le reste, l’essentiel de l’évolution du lac Ojibway est basé sur la chronologie varvaire (Antevs, 1925; Breckenridge et al., 2012; Godbout et al., 2019 et 2020) calée sur des âges radiocarbones (14C) qui suggère une existence de près de 2100 ans entre 10,5 ka BP et 8,2 ka BP (Veillette, 1988). Le retrait rapide de la marge glaciaire qui a suivi ainsi que la migration des eaux du lac vers le nord sont contemporains à la mise en place de la Moraine interlobaire d’Harricana. Considérant le modèle génétique de moraine interlobaire généralement admis, on peut supposer que l’épisode de déposition de la Moraine d’Harricana et l’existence du lac Ojibway sont de durée comparable. À la suite de la rupture du barrage de glace, les eaux du lac Ojibway se sont drainées vers la baie d’Hudson, ce qui a contribué à l’épisode de dérèglement climatique connu sous le nom d’événement de 8,2 ka (Alley et al., 1997; Barber et al., 1999; Ellison et al., 2006). La suite de la déglaciation fut essentiellement marquée par la poursuite de la rééquilibration isostatique, par la reprise du système fluviatile et le développement d’importants complexes palustres dans les secteurs mal drainés. 

 

Collaborateurs

 
Auteurs Hugo Dubé-Loubert, géo., Ph. D. hugo.dube-loubert@mrnf.gouv.qc.ca
Géochimie Olivier Lamarche, géo., Ph. D.
Logistique Marie Dussault, coordonnatrice
Géomatique Kathleen O’Brien
Conformité du gabarit et du contenu François Leclerc, géo., Ph. D.
Accompagnement/mentorat
et lecture critique

Simon Hébert, géo. stag., M. Sc.

Organisme Direction générale de Géologie Québec, Ministère des Ressources naturelles et des Forêts, Gouvernement du Québec

Remerciements :

Ce Bulletin Quaternaire est le fruit de la collaboration de plusieurs personnes. Arianne Vallée a participé au volet terrain de ce projet. Merci à toute l’équipe administrative pour le soutien logistique et l’aide constante. Merci à Simon Hébert pour la lecture critique du document, ses suggestions et commentaires. Un merci tout particulier à Kathleen O’Brien pour sa patience et sa persévérance dans la mise en carte des données et des autres aspects géomatiques du projet. 

Références

Publications du gouvernement du Québec

BRAZEAU, A., LOCAT, J., CHAGNON, J.Y., 1987. Inventaire des ressources en granulats de la région de Val-d’Or. Université Laval, MER; ET 87-02, 31 pages, 1 plan.

BROUARD, E., ROY, M., DUBÉ-LOUBERT, H., LAMARCHE, O., HÉBERT, S., 2020. Carte des dépôts de surface de la province de Québec, rapport sur les méthodes et les données. UQAM, MERN; MB 2020-10, 42 pages, 1 plan.

BROUARD, E., ROY, M., DUBÉ-LOUBERT, H., HÉBERT, S., LAMARCHE, O., 2023. Carte glaciaire du Québec et synthèses régionales. MRNF, UQAM; MB 2023-04, 72 pages, 1 plan.

BUTEAU, P., 1989. Cartes d’inventaire des tourbières de l’Abitibi. MRN; DP-89-07, 23 plans.

LASALLE, P., WARREN, B., 1968. Distribution des eskers en Abitibi. MRN; DP 135, 9 pages, 1 plan.

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Autres publications

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21 novembre 2023