Fosse du Labrador
Première publication : 10 août 2018
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Historique

La Fosse du Labrador est également connue sous l’appellation « Orogène du Nouveau-Québec » dans de nombreux articles et rapports qui traitent de sa géologie. Elle tire son nom du territoire du même nom, le Labrador, qui constitue la majorité de la superficie de la province de Terre-Neuve-et-Labrador. La Fosse du Labrador est aussi appelée familièrement la « Fosse » par les nombreux géologues qui œuvrent ou qui ont œuvré dans ce territoire.

Les expéditions du Père Louis Babel au nord du golfe du Saint-Laurent dans les années 1860 sont probablement à l’origine des premières mentions de la présence de roches ferrifères dans la Fosse du Labrador (Clark et Wares, 2004). Entre 1892 et 1895, l’explorateur et géologue Albert Peter Low réalise les premières observations géologiques pour le compte de la Commission géologique du Canada. Depuis 1929, la recherche et la découverte de gîtes de fer ont favorisé la réalisation de nombreuses études géologiques sur ce territoire. La majeure partie de la Fosse du Labrador a été cartographiée aux échelles 1/50 000 et 1/63 360 par les services géologiques du Québec, de Terre-Neuve-et-Labrador et du Canada. À ces cartes, s’ajoutent des compilations de certains secteurs aux échelles 1/100 000 (Dimroth, 1978; Wardle, 1982) et 1/250 000 (Taylor, 1979). La géologie de la Fosse et la partie sud de son arrière-pays en territoire québécois a aussi été compilée à l’échelle de 1/250 000 par Clark et al. (1990). Certains secteurs d’intérêt économique ont également fait l’objet de nombreux travaux par les compagnies minières, notamment ceux réalisés par IOC, Labrador Mining and Exploration et Hollinger North Shore Exploration.

Les premières synthèses stratigraphiques et structurales de la Fosse du Labrador sont issues des travaux menés par Dimroth (1970a, 1972, 1978, 1981), Dimroth et al. (1970), Dimroth et Dressler (1978), Harrison et al. (1970) et Wardle et Bailey (1981). La Fosse a été subdivisée en trois segments de roches supracrustales : la bande occidentale miogéosynclinale, la bande centrale eugéosynclinale et la bande orientale de l’arrière-pays. Dimroth (1970a) a établi la première image du style structural de l’Orogène du Nouveau-Québec. Ses interprétations ont par la suite été précisées ou modifiées par les travaux réalisés dans les parties centrale et nord de l’Orogène (par ex. Dressler, 1979; Clark, 1988; Brouillette, 1989; Boone et Hynes, 1990; Wares et Goutier, 1989, 1990; Goulet, 1995; Madore et Larbi, 2000). Dans leur synthèse lithotectonique et métallogénique de l’Orogène du Nouveau-Québec, Clark et Wares (2004) ont uniformisé la nomenclature stratigraphique de la partie québécoise de la Fosse du Labrador et ont divisé le Supergroupe de Kaniapiskau (Frarey et Duffell, 1964) en trois cycles : deux cycles volcano-sédimentaires à la base, surmontés par un cycle de roches métasédimentaires de type molasse. Ils ont aussi subdivisé l’orogène en onze zones lithotectoniques, la plupart allochtones et limitées par des failles de chevauchement ou des discordances d’érosion.

Depuis 2011, une révision des cartes géologiques de la Fosse du Labrador à l’aide des cartes magnétiques de haute résolution et des images satellitaires RapidEye est en cours de réalisation à Géologie Québec. Des observations et interprétations préliminaires découlant de l’examen des données provenant des levés géophysiques aéroportés ont été réalisés par Clark et d’Amours (2012). À l’été de 2017, un nouveau levé géologique à l’échelle de 1/50 000 a été réalisé dans le secteur de Kangirsuk couvrant l’extrémité nord de la Fosse du Labrador et une partie de la Sous-province archéenne de Minto. Les travaux ont permis d’améliorer la carte géologique historique et de mettre en valeur le potentiel minéral de cette région (Bilodeau et Caron-Côté, 2017).

Description

La Fosse du Labrador constitue l’avant-pays (partie occidentale) de l’Orogène du Nouveau-Québec, lequel se divise en deux grands domaines lithotectoniques : la Fosse du Labrador, à l’ouest, et la Zone de Rachel-Laporte, à l’est. La Fosse est aussi une partie importante de l’Orogène Trans-hudsonien qui représente une vaste ceinture orogénique s’étendant vers le nord-est depuis le Dakota du Nord jusqu’au Groenland et qui constitue, dans sa partie québécoise, la Province de Churchill. Les roches de la Fosse du Labrador s’étirent sur une distance d’environ 850 km à partir du Front de Grenville, au sud, jusqu’à la rive ouest de la baie d’Ungava, au nord. La Fosse est limitée à l’ouest et au nord par la Province du Supérieur, au sud par le Front de Grenville et à l’est par la Zone de Rachel-Laporte.

Géologie

La Fosse du Labrador est une ceinture volcano-sédimentaire à vergence sud-ouest qui a été plissée et transportée sur les roches de la marge nord-est de la Province du Supérieur lors de l’orogenèse du Nouveau-Québec au Paléoprotérozoïque (Clark, 1994; Hoffman, 1990). Elle est principalement formée de roches sédimentaires et ignées aux faciès des schistes verts et des amphibolites dont l’âge s’étale entre 2,17 et 1,87 Ga (Rohon et al., 1993; Machado et al., 1997). Ces roches se sont formées dans des milieux très variés : rifts, plates-formes et talus continentaux, bassins océaniques et environnements fluviatiles (Clark, 1994). Il en a résulté une grande variété de roches sédimentaires dont les plus connues sont les formations de fer de la région de Schefferville. La Fosse comprend aussi plusieurs niveaux de laves basaltiques, de nombreux filons-couches mafiques et ultramafiques d’affinité tholéiitique, ainsi que des unités de laves mafiques à felsiques d’affinité alcaline. Enfin, il faut signaler la présence d’un complexe de carbonatite de 15 km de longueur, la carbonatite de Le Moyne, encaissée dans une séquence de coulées de rhyodacite, de volcanites très potassiques et de basaltes associés à des sédiments dolomitiques et pélitiques.

La Fosse du Labrador comprend deux grands cycles de sédimentation et de volcanisme et un troisième cycle de sédimentation qui constituent le Supergroupe de Kaniapiskau (Frarey et Duffell, 1964) (coupe stratigraphique simplifiée). Le premier cycle comprend une séquence de bassin intracratonique (rift) surmontée par une séquence de marge continentale passive. Les dépôts du premier cycle sont constitués de grès et de conglomérats du Groupe de Seward reposant en discordance sur le socle archéen (Province du Supérieur) et représentant une séquence immature de rift continental. Cette séquence se serait déposée le long de la marge nord-est de la Province du Supérieur il y a 2,2 Ga (par ex. Hoffman, 1988; Wardle et al., 2002). Une activité volcanique était contemporaine à la sédimentation (Clark et Wares, 2004). Le Groupe de Seward est surmonté par les grès et les dolomies du Groupe de Pistolet qui ont été déposés sur une plate-forme de marge passive. Cette plate-forme s’est éventuellement effondrée et la séquence de basalte et de flysch du Groupe de Swampy Bay s’est déposée en milieu marin. La fin du premier cycle est caractérisée par une régression marine durant laquelle s’est déposé le complexe récifal dolomitique du Groupe d’Attikamagen.

Le deuxième cycle, dont l’âge varie entre 1,88 et 187 Ga, débute par une transgression marine caractérisée par les sédiments du Groupe de Ferriman comprenant de la base au sommet : les grès et arénites quartzitiques de la Formation de Wishart; les mudstones, les siltstones et les grès ferrifères de la Formation de Ruth, les sédiments ferrifères et cherteux de la Formation de Sokoman et les grès, mudstones et turbidites de la Formation de Menihek (Clark et Wares, 2004; Dimroth, 1978). Ces roches reposent en discordance sur la Province du Supérieur et les roches du premier cycle (Dimroth, 1978). Dans la partie centre-sud de la Fosse, la séquence formée par les formations Wishart-Sokoman-Menihek du Groupe de Ferriman se corrèle de façon chronostratigraphique avec les basaltes et les flyschs du Groupe de Doublet (Clark et Wares, 2004). La partie nord de la Fosse est formée par la séquence du Groupe de Koksoak constitué des unités turbiditiques et ferrifères de la Formation de Baby, à la base, surmontées des basaltes de la Formation d’Hellancourt, au sommet. La fin du deuxième cycle comprend des conglomérats et des dolomies du Groupe de Le Moyne qui caractérisent la partie centre-nord de la Fosse. De nombreux filons-couches mafiques à ultramafiques d’affinité tholéiitique associés à la Supersuite intrusive de Montagnais recoupent toutes les séquences du premier et du deuxième cycle. De plus, une importante intrusion de carbonatite (Complexe carbonatitique de Le Moyne) s’est mise en place vers la fin du deuxième cycle. Les roches de plate-forme du deuxième cycle sont surmontées de façon discordante par une séquence de molasse synorogénique du troisième et dernier cycle sédimentaire.

Clark et Wares (2004) divisent la Fosse du Labrador en onze zones lithotectoniques basées sur des critères distinctifs comme les assemblages lithologiques, le style structural et la distribution des gîtes minéraux. Trois zones correspondent à des roches sédimentaires autochtones et parautochtones (zones de Bérard, de Cambrien et de Tamarack), trois zones à des roches sédimentaires allochtones (zones de Mélèzes, de Schefferville et de Wheeler) et cinq zones à des séquences volcano-sédimentaires du premier cycle (Zone de Howse), du deuxième cycle (zones de Payne, de Gerido et de Retty) ou des deux premiers cycles (Zone de Hurst).

Évolution géologique

Plusieurs modèles d’évolution tectonique ont été proposés pour expliquer l’origine de la Fosse du Labrador et de son arrière-pays (Wardle et Bailey, 1981; Hoffman, 1987, 1990; Wares et al., 1988; Van der Leeden et al., 1990; St. Seymour et al., 1991; Wares et Skulski, 1992; Skulski et al., 1994). Dans leur synthèse, Clark et Wares (2004) ont posé les jalons de l’évolution de la Fosse du Labrador sur la base des modèles antérieurs et des données géochronologiques disponibles.

L’histoire géologique de l’Orogène du Nouveau-Québec s’échelonne sur une période de plusieurs dizaines de millions d’année comprise entre ~2,2 et 1,74 Ga (chronologie de l’évolution de l’Orogène du Nouveau-Québec) :

  1. Il y a environ 2,2 Ga, les roches de la partie occidentale de l’Orogène du Nouveau-Québec (Fosse du Labrador) se sont déposées le long de la marge archéenne de la Province du Supérieur à la suite d’un rifting. Cette période qui correspond au début de la sédimentation du cycle 1 est caractérisée par le dépôt de sédiments immatures, de volcanites légèrement alcalines et la mise en place de dykes mafiques;
  2. Entre 2,17 et 2,14 Ga environ, le dépôt de sédiments de marge passive, un volcanisme mafique de type MORB et la mise en place de filons-couches mafiques caractérisent la majeure partie du cycle 1. La fin de cycle (<2,06 Ga) est marquée par le dépôt de dolomies et de cherts sur une plate-forme rétablie;
  3. De 1,88 à 1,87 Ga, la sédimentation de plate-forme et bassin du cycle 2 est associée à un nouvel épisode de rifting ou au développement d’un bassin d’avant-fosse. Cette période est caractérisée par le dépôt de méiméchite et carbonatite, un volcanisme mafique de type MORB correspondant à la formation de croûte continentale-océanique de transition et la mise en place de filons-couches mafiques-ultramafiques;
  4. De 1,84 à 1,83 Ga, une phase de déformation et de métamorphisme de grade élevé se manifeste dans l’arrière-pays de l’Orogène du Nouveau-Québec près de Kuujjuaq. Au cours de la même période jusqu’à 1,81 Ga, une intrusion granitique et charnockitique d’envergure régionale, la Supersuite de De Pas (anciennement Batholite de De Pas), se met en place. Cette supersuite est interprétée par plusieurs auteurs comme étant associée à un environnement d’arc magmatique protérozoïque relié à une zone de subduction développée lors de l’Orogenèse du Nouveau-Québec (Dunphy et Skulsky, 1996; Martelain et al., 1998). Selon Wardle et al. (1990, 2002), cette supersuite pourrait aussi être associée à une composante syncollisionnelle dans l’arrière-pays de l’Orogène du Nouveau-Québec;
  5. De 1,82 à 1,77 Ga, il y aurait eu collision oblique entre le craton du Supérieur et la Zone noyau de la province de Churchill lors de l’orogenèse du Nouveau-Québec. Cet évènement a engendré une déformation de type transpression et la formation d’une ceinture de chevauchement et de plissement à vergence ouest, la Fosse du Labrador. Durant cette période, des sédiments de type molasse se déposent sur la marge de la Province du Supérieur au cours du cycle 3;
  6. Autour de 1,81 Ga, de petites intrusions de monzonite non déformées et probablement post-tectoniques se mettent en place dans la Fosse du Labrador;
  7. Enfin, de 1,77 à 1,74 Ga, l’arrière-pays près de Kuujjuaq est caractérisé par la mise en place de pegmatites et une activité hydrothermale suivies d’une période de refroidissement.

Références

10 août 2018