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Étymologie
Les moraines côtelées sont nommées ainsi en raison de leur ressemblance aux côtes d’une cage thoracique. Cette appellation provient de l’expression anglaise « ribbed moraine » popularisée par Lee (1959) et Hughes (1964). Le terme « moraine de Rogen » est également utilisé, selon l’exemple type du lac Rogen, à Härjedalen en Suède (Hoppe, 1959), où elles ont été décrites pour la première fois (Lundqvist, 1937; Mannerfelt, 1945; Hoppe, 1959). Historiquement, les deux termes ont défini des moraines légèrement différentes, mais leur usage dans les récents ouvrages du Ministère est interchangeable. Les observations initiales de moraines de Rogen ou côtelées référaient à un type de morphologie de terrain purement descriptif. On parlait alors de moraine de Rogen comme d’une zone où l’on retrouvait des crêtes ondulantes; le terme moraine étant utilisé dans son sens lithologique (Hughes, 1964; Bouchard, 1980; 1989; Benn et Evans, 2010).
Description
Les moraines côtelées sont définies comme des crêtes ondulantes à morphologie boudinée et possiblement arquée. L’orientation principale des crêtes est perpendiculaire au sens d’écoulement du glacier. Leurs dimensions typiques sont les suivantes : de 300 m à 1200 m de longueur, de 100 m à 300 m de largeur et de 10 m et 40 m de hauteur (Hoppe, 1959; Lundqvist, 1969; Hättestrand et Kleman, 1999; Dunlop et Clark, 2006; Benn et Evans, 2010). Un espacement quasi régulier est présent entre les moraines (Hättestrand et Kleman, 1999).
Plusieurs études mentionnent un profil de crêtes asymétrique, avec le versant situé à l’aval plus abrupt que celui orienté vers l’amont glaciaire (Hoppe, 1959; Shilts, 1977; Boulton, 1987; Shilts et al., 1987; Aylsworth et Shilts, 1989). Elles sont typiquement de forme arquée avec les extrémités pointant vers l’aval glaciaire (Bouchard, 1986; 1989). Dunlop et Clark (2006) ont démontré que ces caractéristiques sont trop restrictives et que des moraines côtelées existent sous plusieurs formes variées.
Les moraines côtelées sont généralement composées d’un diamicton massif ou laminé intégrant un grand nombre de blocs, mais on peut également y trouver du gravier, du sable et du silt. Les faciès sédimentaires présentent généralement des évidences de déformation glaciotectonique prenant la forme de plans de cisaillement et de plis (Shaw, 1979; Fisher et Shaw, 1992; Hättestrand, 1997). Des fabriques de till révèlent dans ce type de moraine une orientation des clastes transverse à l’écoulement glaciaire (Lundqvist, 1937; Cowan, 1968).
Les zones de moraines côtelées sont généralement associées spatialement à des zones de till fuselé (Prest, 1968; Sugden et John, 1976); ces dernières sont caractérisées par des drumlinoïdes orientés à angle droit ou fortement oblique par rapport aux crêtes morainiques. Il est commun d’observer une zone de transition graduelle entre ces secteurs, laquelle est caractérisée par des moraines côtelées présentant une morphologie de surface fuselée (Prest, 1968; Lundqvist, 1969; 1989; Markgren et Lassila, 1980; Aylsworth et Shilts, 1989). Aylsworth et Shilts (1989) notent que les transitions latérales entre les zones de moraines et de drumlinoïdes sont généralement plus abruptes que les transitions situées à l’amont et l’aval glaciaire d’un champ de moraines côtelées. Les moraines à morphologie transitoire ou combinée sont celles auxquelles la dénomination de « Rogen » était initialement réservée (Lundqvist, 1969).
Genèse
La genèse et les mécanismes qui contrôlent la formation des moraines côtelées sont encore source de débat. Plusieurs études suggèrent que leur formation soit associée à un événement unique glaciaire (Bouchard, 1989; Aylsworth et Shilts, 1989; Hättestrand, 1997; Hindmarsh, 1998a; 1998b; 1999) ou fluvial (Shaw, 1979; Fisher et Shaw, 1992), alors que certains auteurs proposent plutôt une formation polyphasée (Boulton, 1987; Lundqvist, 1989; 1997; Möller, 2006; Sarala, 2006).
Les superpositions morphologiques observées dans les zones transitionnelles pourraient suggérer une genèse polyphasée dans l’espace et dans le temps entre les moraines côtelées et certains drumlinoïdes (Lundqvist, 1969; Bouchard, 1986). Boulton (1987) a proposé que les moraines côtelées fassent partie d’un continuum morphologique de formes linéaires résultant de l’évolution, à la semelle glaciaire, d’un substrat déformable. Un changement de direction de l’écoulement glaciaire pourrait ainsi causer une déformation ondulatoire des drumlins, drumlinoïdes ou moraines terminales (Lundqvist, 1969; 1989; Boulton, 1987; Clark, 1994; Möller, 2006; Finlayson et Bradwell, 2008;). Ce processus ne peut être à l’origine de toutes les formes observées et n’est vraisemblablement pas le seul qui soit responsable de la formation de moraines côtelées.
Un deuxième modèle explique plutôt leur formation par un écoulement glaciaire compressif causant un cisaillement de la couche sédimentaire préexistante ou engendrant une nouvelle accumulation basale de sédiment (Lundqvist, 1969; Bouchard, 1986; Hättestrand, 1997; Hättestrand et Kleman, 1999; Sarala, 2006; Lindén et al., 2008). Les débris enchâssés à la base de la glace se superposeraient en réponse à la compression et au cisaillement lors de l’écoulement glaciaire. Cette compression se produirait dans des dépressions topographiques ou à la limite d’un glacier à base chaude et un glacier à base froide (Sugden et John, 1976; Shaw, 1979; Sollid et Sorbel, 1984; Bouchard, 1986; 1989). Dans ce modèle, la transition des formes de drumlins aux moraines côtelées est expliquée par un changement dans le régime d’écoulement, passant d’un régime compressif à un régime extensif.
Une autre théorie expliquant la genèse des moraines côtelées est celle de la fracturation et de l’extension de couches de sédiments gelées préexistantes (Boulton, 1987; Lundqvist, 1989; Hättestrand, 1997; Hindmarsh, 1998a, 1998b, 1999; Hättestrand et Kleman, 1999; Sarala, 2006). Durant la déglaciation, deux couches de sédiments se superposent : une première, superficielle, est formée de sédiments gelés; une seconde, sous-jacente, est non gelée et déformable. L’interface entre ces deux couches permettrait la formation d’un plan de décollement, générant un régime d’écoulement extensif. Le cisaillement ainsi causé aurait pour effet de fracturer les couches de sédiments gelés, causant la création d’un patron interdigité.
Ces deux derniers types de formation concordent avec les transitions graduelles observées entre les zones fuselées et morainiques. Les auteurs n’invoquent qu’une seule direction d’écoulement, suggérant ainsi que les drumlinoïdes et les moraines côtelées soient contemporains et causés par le même événement.
Répartition spatiale
La répartition spatiale mondiale des moraines côtelées correspond aux secteurs des régions englacées par les inlandsis laurentidien et du Groenland et les calottes fenno-scandienne et anglo-irlandaise (Hättestrand, 1997; Clark, 1999; Clark et Meehan, 2001) en Suède, en Finlande, en Irlande, en Écosse, au Canada et aux États-Unis (Lundqvist, 1981; Hättestrand et Kleman, 1999; Dunlop, 2004; Dunlop et Clark, 2006; Finlayson et Bradwell, 2008). Typiquement, les moraines côtelées se développent dans un rayon de 50 km à 350 km des lignes de partage glaciaire lorsque la marge en récession s’approche de ces secteurs (Shaw, 1979; Shilts et al., 1987; Bouchard, 1989; Kleman et Hättestrand, 1999).
Références
Publications accessibles dans SIGÉOM Examine
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Autres publications
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Collaborateurs
Première publication |
Olivier Lamarche, géo. stag., M. Sc. olivier.lamarche@mern.gouv.qc.ca (rédaction) Hugo Dubé-Loubert, géo., Ph. D. (lecture critique); François Leclerc, géo., Ph.D. (conformité du gabarit et du contenu); Simon Auclair, géo., M. Sc. (révision linguistique); Céline Dupuis, géo., Ph.D. (version anglaise); Nathalie Bouchard (montage HTML). |